Et si l'émotionnel, à travers le rire, menait à la performance ?
- Le Jeu 12 juin 2014
Nous assistons depuis une dizaine d’années à un intérêt particulier au phénomène du « rire » de la part des coachs en communication et développement personnel. Des écoles de rire et des parcours de formation aux métiers du rire ont vu le jour depuis le début des années 2000. Il s’agit d’un nouveau phénomène socioculturel digne d’exploration.
Le rire est un sujet sérieux et un objet d’étude scientifique. Notons qu’il existe, depuis 1987, une association scientifique (CORHUM) regroupant des chercheurs étudiant le rire dans ses divers aspects littéraires, linguistiques, historiques, sociologiques, anthropologiques et psychologiques. Une communication scientifique, en sciences de gestion, a démontré que « 69 % des personnes interrogées aimeraient pouvoir disposer d’une formation et / ou d’une sensibilisation à l’importance de l’humour dans l’environnement professionnel » (Bensebaa et Autissier, 2011).
Dans ce cadre, nous nous interrogeons : pourquoi cet intérêt pour le « rire » ? Comment le rire peut-il être au service de la performance d’une entreprise ? Quelle essence peut-on tirer de ce phénomène ?
Les nouveaux métiers du rire
Des métiers sont apparus autour du rire : animateur certifié de club de rire, rigologue expert, coach psychopositif.
Ces intitulés nous font penser à quel point nous vivons une époque qui privilégie la rationalité de l’expertise et de la compétence certifiée. Autrement dit, pour qu’une profession ou pratique soit prise au sérieux, il est important de recourir à des dénominations ou titres plus ou moins pompeux.
Ces techniques de développement personnel et de bien-être s’affinent de plus en plus : sophrologie ludique, méditation du rire, rigologie, yoga du rire.
Rappelons que le point de départ de ces techniques est le yoga du rire, méthode proposée en 1995 par un médecin généraliste, le docteur Kataria, qui considère le rire comme une forme de gymnastique comportant des exercices à effectuer pour garantir une certaine hygiène de vie. Il existe des milliers de clubs de rire dans plus de 100 pays à travers le monde. Quelle est la dynamique qui s’y produit ? En fait, il s’agit d’exercices d’auto stimulation déclenchant le rire dans un cadre collectif favorisant un échange ludique. Ainsi, de plus en plus de consultants et coachs se sont appropriés ces techniques et l’ont traduites en prestations de service pour le monde de l’entreprise, sous forme de séminaires de rire, dont l’utilité est évoquée à deux niveaux : individuel et collectif.
Sur le plan individuel : rire et gestion du stress
De manière générale, la réalité actuelle du monde de l’entreprise est caractérisée par certains paradoxes : on demande aux travailleurs d’être fortement impliqués tout en leur offrant un statut précaire ; de coopérer avec les collègues tout en étant dans une posture de compétition ; d’innover tout en respectant à la lettre des procédures. De surcroît, les maîtres-mots sont : productivité, réactivité, challenges, stress positif. A ce propos, le discours ambiant prône les avantages du stress positif. Le stress positif serait motivant car il donnerait du challenge et permettrait d’atteindre l’efficacité.
Sur ce point particulier, les spécialistes en gestion du stress s’interrogent « Les managers sont-ils suffisamment formés pour décider d’un niveau de tolérance au stress de chacun de leurs collaborateurs? » et insistent sur la notion d’accumulation (le corps est épuisé à moyen et long terme). Là, l’individu bascule dans une inefficacité.
Justement, le recours aux prestations autour du rire s’inscrit dans le cadre de la gestion du stress. En effet, la médecine (neurologues, psychiatres) s’est penchée, depuis longue date, sur les bienfaits du rire sur la santé. Le rire est appréhendé en tant que « valeur thérapeutique ». Disons qu’il existe de nos jours un large consensus sur les bienfaits du rire sur la santé au regard des résultats des nombreuses recherches menées dans le domaine médical.
Le docteur Henri Rubinstein (2003), neurologue, distingue trois principaux axes des manifestions physiques du rire : (1) l’axe musculaire puisque le rire fait travailler tous les muscles depuis ceux du visage jusqu’à la musculature abdominale ; (2) l’axe respiratoire dans la mesure où le rire favorise les échanges respiratoires ; (3) et l’axe neuro-hormonal où les fonctions impliquées sont relatives à la perception de la douleur, la mémoire et l’apprentissage.
Sur le plan collectif : rire et cohésion d’équipe
Le team building par le yoga du rire facilite la cohésion d’équipe composée de membres forcément différents sur un certain nombre de points comme, par exemple, la personnalité, l’âge, la formation antérieure, l’expérience.
Sur le plan collectif, le rire représente une « contagion émotionnelle positive » considérée, elle-même, comme un levier de management de la diversité (Boisard-Castelluccia et Van Hoorebeke, 2010).
Kangasharju et Nikko (2009) identifient quatre fonctions au rire lors d’une réunion de travail :
(1) la création d’un climat de travail relaxant, et la réduction de la tension et de l’asymétrie entre les membres d’une équipe
(2) une confirmation que les participants partagent une compréhension commune de la problématique
(3) une diminution de stress face à des tâches exigeantes
(4) le rire permet d’éviter ou esquiver des situations de face-à-face embarrassantes avec le manager.
Le lien entre le rire et la cohésion d’équipe suscite des éléments d’interrogation : quels sont les facteurs qui conditionnent la réussite de ces sessions de team building ? Y a-t-il des précautions à prendre ? Dans quelle mesure les membres du groupe accepteraient-ils de lâcher prise ?
Si la pratique régulière du rire sur le lieu du travail permet d’une part une réduction du stress des employés et d’autre part une meilleure dynamique collective, on ne peut qu’appuyer ce genre d’initiatives qui deviendront peut-être un véritable levier à la performance.
A travers cette réflexion, le but de ce court article est de solliciter la réaction des managers, chefs d’entreprise, responsables dans le domaine des ressources humaines : que pensez-vous de ce nouveau phénomène ? Pensez-vous qu’il s’agit d’une énième idée d’activités de team building ou bien plus profondément d’une nouvelle posture managériale ? Seriez-vous favorable à recourir à ces pratiques ? Peut-on imaginer un jour, dans les entreprises, la création d’un département « Humour Resource Management » ?
Et si le management ménageait ses ressources humaines par le rire ?
Références :
Bensebaa F. et Autissier D. (2011), L’humour dans les organisations : avantages, limites et perspectives, Communication à la conférence de l’AIMS (Association Internationale de Management Stratégique).
Boisard-Castelluccia S. et Van Hoorebeke D. (2010), Le management de la diversité des équipes par la contagion émotionnelle, au cœur de la performance de groupe ?, Revue Management et Avenir, No. 38, octobre, p. 240-256.
Kangasharju H. et Nikko T. (2009), Emotions in organizations: joint laughter in workplace meetings, Journal of Business Communication, Vol. 46, No. 1, janvier, p. 100-119.
Rubinstein H. (2003), Psychosomatique du rire.
Rire pour guérir, Paris : Robert Laffont.